La Commedia dell'arte, bien plus qu'une simple forme de divertissement, est un véritable trésor de la culture italienne et un pilier de l'histoire du théâtre. Imaginez une scène vibrante : Arlequin, dans son costume multicolore emblématique, poursuit la charmante Colombine à travers une place de marché animée. Pantalone, le vieil avare vénitien, trébuche sur sa propre bourse remplie d'écus, tandis que le Dottore, gonflé d'importance et de pseudo-savoir, déclame des vers latins incompréhensibles pour l'assistance médusée. Le Capitaine, fanfaron et lâche à la fois, se vante d'exploits guerriers imaginaires, suscitant l'hilarité générale. Cette énergie, ce chaos organisé, ces personnages immédiatement reconnaissables sont l'essence même de la Commedia dell'arte, un spectacle vivant et improvisé qui captive le public depuis plus de quatre siècles.
La Commedia dell'arte, dont le nom signifie littéralement "théâtre de l'art" ou "théâtre des professionnels", est une forme de théâtre populaire italien née au XVIe siècle, plus précisément vers 1550. Elle se caractérise par son improvisation, son utilisation de masques distinctifs portés par la majorité des personnages, des personnages types (ou "tipi") reconnaissables entre tous, un accent particulier mis sur la gestuelle expressive et le mime, et des intrigues souvent basées sur des situations comiques et des quiproquos. Ce mélange unique d'éléments crée un spectacle dynamique, accessible à tous les publics, et profondément enraciné dans la culture populaire italienne. Son influence s'étend bien au-delà des frontières de l'Italie, marquant durablement l'histoire du théâtre mondial et inspirant de nombreux artistes à travers les siècles.
Aux sources de la commedia dell'arte : histoire et contexte
La Commedia dell'arte n'a pas émergé du néant ; elle est le fruit d'une longue évolution et d'un riche héritage culturel. Ses racines plongent profondément dans les traditions théâtrales populaires de l'Antiquité romaine, notamment les Atellanes et le mime, qui mettaient déjà en scène des personnages caricaturaux, des situations burlesques, et une forte dose d'improvisation. L'influence des jeux de carnaval médiévaux et du théâtre de foire, avec leur lot de satire, de dérision et de licence, est également indéniable. Le contexte socio-économique et politique de la Renaissance italienne, marqué par un regain d'intérêt pour l'Antiquité et un essor de la culture populaire, a également joué un rôle crucial dans l'émergence de cette forme théâtrale unique.
Racines romaines et médiévales
Les Atellanes, ces farces populaires de l'ancienne Rome, offrent un aperçu fascinant de ce qui allait devenir la Commedia dell'arte. Ces spectacles mettaient en scène des personnages stéréotypés et facilement reconnaissables, tels que Pappus, le vieillard sénile et naïf ; Maccus, le glouton insatiable ; Bucco, le bavard intarissable ; et Dossenus, l'escroc rusé et sans scrupules. Le mime romain, autre forme de divertissement populaire de l'époque, se distinguait par son improvisation, sa gestuelle expressive, son utilisation de masques, et sa capacité à parodier les mœurs de la société. Ces éléments, combinés aux traditions théâtrales médiévales, ont préparé le terrain pour l'éclosion de la Commedia dell'arte à la Renaissance. Par exemple, les mimes utilisaient souvent des dialogues improvisés, contribuant au caractère spontané des spectacles.
- Atellanes : Farces populaires romaines mettant en scène des personnages stéréotypés et des situations burlesques.
- Mime romain : Improvisation, gestuelle expressive, utilisation de masques et parodie des mœurs.
- Jeux de carnaval médiévaux : Satire, dérision, licence et transgression des normes sociales.
On estime que les Atellanes ont perduré pendant plus de 300 ans, témoignant de leur popularité et de leur influence sur les formes théâtrales ultérieures.
Naissance officielle et premières troupes
La naissance officielle de la Commedia dell'arte est généralement située au milieu du XVIe siècle, avec l'émergence de troupes professionnelles d'acteurs qui se spécialisent dans cette forme de théâtre. Parmi ces troupes pionnières, on peut citer les Gelosi, dirigée par Francesco Andreini et Isabella Andreini, considérés comme des figures emblématiques de la Commedia dell'arte. Ces compagnies itinérantes ont joué un rôle crucial dans la structuration de la forme théâtrale, en codifiant progressivement les personnages, les intrigues et les lazzi, tout en préservant une large place pour l'improvisation et la créativité des acteurs. La professionnalisation des acteurs, qui touchaient en moyenne 300 écus par saison, et la création de compagnies stables, souvent soutenues par des mécènes fortunés, ont permis une diffusion plus large et une reconnaissance accrue de la Commedia dell'arte à travers l'Italie et l'Europe.
Le "zanni" originel : l'ancêtre d'arlequin
Au cœur de l'univers de la Commedia dell'arte se trouve le personnage du "zanni" (valet), véritable moteur de l'intrigue et source inépuisable de comique. À l'origine, le zanni était un paysan naïf et affamé, constamment à la recherche de nourriture, d'un peu d'argent et d'un moyen de se sortir de sa misère. Au fil du temps, le personnage du zanni s'est diversifié, donnant naissance à une multitude de types différents, chacun avec ses propres caractéristiques, son propre costume, et son propre rôle dans la pièce. Le zanni a ainsi donné naissance à d'autres figures emblématiques de la Commedia dell'arte, comme Arlequin, le valet agile et acrobatique, et Brighella, le valet rusé et intrigant, qui ont conservé certaines de ses caractéristiques initiales tout en développant leurs propres traits distinctifs. On considère que le salaire d'un "zanni" était environ 20% inférieur à celui d'un "Innamorati".
- Premier Zanni: Naïf, affamé, paysan cherchant à améliorer sa condition.
- Evolution du Zanni: Diversification des types, costumes et roles.
- Arlequin et Brighella: Descendants du Zanni original avec leurs spécificités.
Différences régionales et adaptations locales
Bien que partageant un ensemble de caractéristiques communes, la Commedia dell'arte a connu des variations régionales significatives en Italie, reflétant la diversité culturelle et linguistique de la péninsule. À Venise, par exemple, le personnage de Pantalone, le riche marchand vénitien, avare et sénile, occupait une place prépondérante dans les intrigues, tandis qu'à Naples, la figure emblématique était Pulcinella, un valet fourbe et cynique, souvent associé à la misère et à la débrouillardise. Ces différences régionales se manifestaient également dans les styles de jeu, les costumes, les dialectes utilisés par les acteurs, et les thèmes abordés dans les pièces. La région de Florence, avec ses traditions artistiques et littéraires raffinées, a également contribué à l'évolution de la Commedia dell'arte en introduisant des éléments plus sophistiqués et subtils. L'importance des dialectes locaux dans chaque région rendait la Commedia dell'arte unique et accessible à un public varié.
Anatomie de la commedia dell'arte : les éléments clés du succès
La Commedia dell'arte, bien plus qu'une simple succession de gags et de pitreries, est une forme théâtrale complexe et structurée, reposant sur un ensemble d'éléments clés qui contribuent à son efficacité comique et à sa popularité durable. Ces éléments comprennent les personnages types (ou "tipi"), les lazzi (routines comiques pré-établies), l'improvisation, les masques distinctifs, et la musique et la danse, qui rythment le spectacle et accentuent les émotions des personnages. La maîtrise de ces éléments était essentielle pour les acteurs professionnels de la Commedia dell'arte, garantissant des performances de qualité et un succès auprès du public.
Les personnages types (tipi) : un bestiaire humain
Les "tipi" sont des personnages stéréotypés et facilement reconnaissables, chacun avec son propre masque, son propre costume, son propre caractère, son attitude et son rôle pré-défini dans l'intrigue. Ces personnages, bien que caricaturaux, incarnent des traits de caractère universels, tels que la cupidité, la vanité, la jalousie, la ruse, ou la naïveté, ce qui leur permet de résonner avec le public de toutes les époques et de tous les pays. Ils peuvent être regroupés en trois catégories principales : les Magnifici (les vieux), les Innamorati (les amoureux), et les Zanni (les valets). Chaque type de personnage a des caractéristiques spécifiques qui permettent aux acteurs de se glisser facilement dans leur rôle.
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